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DES POSSIBLES DANGERS DE LA RECHERCHE

Mercredi, mon cours de japonais s’est transformé en lecture (so international) à propos des réfugiés de Fukushima. Il faut le dire, c’était parfait pour entrer dans mon sujet de mémoire, je remercie donc ma professeur de japonais d’avoir l’idée, chaque année, de commémorer ce fort triste événement.

La professeur invitée n’est pas du tout spécialisée en nucléaire ou en sociologie, mais est allée sur le terrain en tant que volontaire. Elle continue depuis maintenant trois ans et a tissé un certain nombre de relations intéressantes. Elle nous a montré une carte de la région, les villes vouées à disparaître, les tentatives de sauver un peu de terre, les hommes en blanc, les débris recrachés par la mer. Il ne reste pas bien grand-chose de la côte, tandis que la menace invisible du nucléaire plane partout. 140 000 personnes sont toujours logés de manière temporaire, certaines sans espoir de revoir leur maison.

  • J’ai donc fait quelques découvertes parfois effarantes :Les personnes ayant un prêt immobilier et ne pouvant y retourner continuent de payer leur prêt, Tepco ne prenant en charge que 40 % du montant restant de la dette.
  • Certaines personnes n’ont pas l’espoir de se faire dédommager car les assurances demandent des images des biens abîmés, mais comment prendre une photo quand on ne peut pas accéder à son domicile ou que sa maison a tout simplement été rasé, les papiers partis à la flotte ?
  • Le taux de suicide est en forte hausse dans certaines villes, sans compter les personnes en dépression.
  • Les personnes vivant dans des préfabriqués s’entendent généralement assez bien entre elles (recherches à faire sur le ‘pourquoi’ de cette bonne entente), tandis que les relations avec les populations les accueillant sont plus difficiles. En effet, les enfants ont tendance à se faire discriminer à l’école (いじめbonjour) tandis que les adultes voient d’un très mauvais œil l’accueil de ces populations qui viennent déranger leur quotidien (et, j’imagine, pomper sur leurs impôts).
  • Si le réacteur #4 de la centrale de Fukushima explose, Tokyo aura certainement à être évacué. 34 millions de personne en exile, des barres.

Dès que j’aurai posé tout ça sur papier et que j’aurai de nouvelles idées, j’irai prendre rendez-vous avec cette professeur pour discuter plus précisément de la vie dans les refuges. Pour le moment, elle m’a déconseillé d’aller faire mon terrain là où elle travaille, parce qu’il s’agit d’une région très proche de la centrale et donc assez irradiée. « Je ne peux conseiller à une jeune femme d’aller travailler là-bas, c’est trop pollué, trop dangereux. » Je suis tout de même heureuse de voir que malgré le fait qu’ils aient envie qu’on les aide dans leurs recherches, ils font tout de même attention à ce genre de choses et n’envoient pas les élèves intéressés se prendre une douche radioactive. Je vais tout de même lui demander si elle n’aurait pas des contacts plus au nord, ou plus près de Tokyo, puisque les populations réfugiées ont été dispatchées sur tout le territoire, jusqu’à Okinawa (bonjour le changement de paysage).

Sinon, on a aussi discuté après le cours du fait que les anti-nucléaires au Japon sont surveillés par le gouvernement (pro-nucléaire, comme vous le savez). Elle m’a expliqué que certains professeurs de Tôdai qu’elle connaît ont eu des problèmes importants alors qu’ils menaient des recherches visant à montrer les dangers du nucléaire et la nécessité de passer à un modèle énergétique différent. Les méthodes employées sont assez singulières. L’un d’entre eux a été accusé d’avoir tripoté une jeune femme dans le métro et a été arrêté. Honte sur quatre générations et demi, décrédibilisation au niveau personnel et professionnel, ça marche assez bien. Depuis, une partie des chercheurs a arrêté de prendre les transports en commun, par peur de se faire accuser des mêmes faits. D’autres risquent apparemment leur vie. C’est beau la démocratie, non ? De fait, elle m’a dit que si je m’approchais de gens surveillés ou que je me mettais à fouiner un peu trop près de la question du nucléaire et du désastre, je risquais d’avoir des ennuis. Il faut donc que je fasse attention à mes mails et mes conversations téléphoniques, au cas où la NSA made in Japan m’aurait prise en grippe. Hey les gens, peut-être que vous lirez cet article un jour, donc sait-on jamais,お疲れ様です !

En bref, ma motivation pour me concentrer sur mon mémoire est en pleine croissance. Il était temps ! Je vais donc mettre derrière moi les divers papers pourris à écrire pour l’IEP de Lille (amen) et me diriger vers mes recherches avec enthousiasme. Je suis tout de même un peu anxieuse. J’espère que j’aurai la force d’écouter tous ces témoignages sans trop être ébranlée. Rien que regarder les vidéos de gens qui discutent de ce qu’ils ont perdu me retourne l’estomac, je ne sais pas ce que ça va donner une fois sur place. ファイトだ!